Dès l'âge de bronze, l'homme tenta de capturer le maximum de poissons et de crustacés, en édifiant des barrages pour retenir la faune marine au moment du retrait de la mer. Depuis la nuit des temps, les populations côtières pratiquent la pêche à pied avec toutes sortes d'engins. Peu à peu, l'ingéniosité et le courage des hommes, la recherche de nourriture et l'appât du gain, entrainèrent la construction d'établissements importants en pierre ou en bois : les pêcheries.
Lorsque fut publié le décret de 1853, qui subordonnait à une autorisation spéciale du ministre de la Marine, l'exercice de la pêche à pied ou l'exploitation des pêcheries, la colère gronda. Pour ces milliers d'habitants du littoral, c'était la rupture avec le passé et les habitudes ancestrales de pêche. Le sentiment ressenti de vol et de spoliation fut exacerbé par la rudesse des lois, la confiscation du matériel et l'envoi de bateaux chargés de détruire les établissements de pêche.
Si certaines régions subirent avec résignation, la plupart réagirent avec une détermination et une fureur imprévues. Des lettres, des pétitions, des appels à l'Empereur, mais aussi des rébellions, des violences physiques à l'encontre des représentants du département de la Marine. La Normandie organisa la résistance la plus acharnée, très vite soutenue par les Bretons de Cancale, et la révolte gagna la Méditerranée.
Voici, à travers l'histoire tumultueuse des pêcheries et d'une guerre qui dura trente ans, toute la vie maritime des côtes de France au 19ème siècle. La richesse d'un littoral où, en 1764, les araignées de mer étaient si nombreuses que les pêcheurs n'arrachaient que les pinces des grands mâles et rejetaient le corps à la mer. A Chausey et Granville, 1200 pêcheurs à pied ramassèrent, en 1886, dix tonnes de crevettes grises et roses. Et, en 1862, uniquement à la pêche à pied, furent récoltées 192000 huitres sauvages à Granville, 2950000 à Cancale et 879400 à Saint-Malo.
Remarquablement documenté, richement illustré, le livre de Robert Sinsoilliez est une oeuvre magistrale. Il passionnera tous ceux, innombrables, que les grandes marées voient partir à l'assaut, le haveneau sur l'épaule, quand la mer se retire.